La session 2010-2011 : Qu’est-ce qu’une névrose ?
Présentation du thème
Faudrait-il conclure du déclin de la fonction paternelle et de ses conséquences sur les structures subjectives qu’il n’y aurait plus de névrosés ? Loin s’en faut. La chute des idéaux et la promesse de la satisfaction par l’objet s’accompagnent d’une clinique moins contrastée, plus graduée. Les discours qui structurent la société, machines originales qui mettent en scène le sujet, produisent la précarité du lien, ce qui n’est pas sans conséquences sur les modalités de la demande. La « globalisation », marchandisation généralisée jusqu’aux relations, pensées, corps et désirs, emporte une individualisation toujours plus poussée ; le mode de vivre ensemble, le lien social est présenté comme une compétition de sujets désarrimés et dispersés. Mais au-delà de la phénoménologie que cela induit, l’examen précis de ce qui constitue fondamentalement la névrose devient d’autant plus nécessaire ; un repérage clinique rigoureux reste un préalable indispensable à la direction d’une cure psychanalytique.
La névrose est une structure particulière, stable, avec des éléments bien définis, bien découpés par la répétition constante et régulière de certains d’entre eux. Le registre symbolique permet de différencier les registres du réel et de l’imaginaire, ordonne la relation spéculaire et médiatise celle du sujet au semblable, construit son rapport au temps et à l’espace, lui permet de poser la question de sa mort et de son sexe. Dans la névrose, il y a une relative stabilité du nouage entre réel, symbolique et imaginaire. Ceci veut dire que le Nom-du-Père est bien à sa place, comme fonction et comme celui qui nomme. Son opération produit la signification phallique ; le rapport à la castration, à l’impuissance et à l’impossibilité, que Lacan écrit moins phi (-j), en est la marque. Ce qui signifie que les éléments nécessaires à toute structure subjective — l’Autre du signifiant, le sujet, l’objet, le fantasme — sont marqués de négativité. Il y a déconnection du signifiant et de la jouissance, il en résulte une différenciation nette entre le Moi et le ça, entre les signifiants et les pulsions, et un surmoi clairement tracé. La relation à l’Autre n’est plus confrontation directe à sa jouissance, mais à son désir. En retour, le désir du sujet, indestructible comme tel et qui échappe au dire, va l’orienter au-delà de sa propre volonté. Ainsi, le sujet éprouve une division, une discordance entre ce qui est du registre du signifiant, de l’idéal, ce qu’il désire ou ce que l’on désire pour lui, et ce qui est du registre de l’objet, part obscure de lui-même, sa part d’ombre.
Chez le sujet névrosé, les formations de l’inconscient font irruption par surprise, ce sont des émergences de vérité. Quand elles émergent, elles ne font pas sens. Elles font trou dans la représentation, traumatisme. Il y a requête d’une urgence, d’un dépassement par la parole. Ceci signifie que l’inconscient est d’abord réel, et non pas symbolique, c’est l’analyse comme expérience de parole qui fait passer l’inconscient au symbolique. De la rencontre avec l’analyste découle l’inscription du sujet supposé savoir, et la clinique qui s’en produit est clinique sous transfert. L’inconscient freudien, c’est l’inconscient transférentiel.
L’analysant par la narration va lever le voile et avec les interprétations de l’analyste une succession de révélations vont surgir. Il va tisser une hystoire pour son analyste, un roman de la vérité. L’interprétation du refoulement et du symptôme a des effets thérapeutiques, mais le désir ne se nomme pas, ce que l’on cerne, c’est une jouissance. Cette jouissance trouve localisation dans le dispositif signifiant : dans les trous, les restes, les résidus, les pièces détachées de la narration psychanalytique. Peu à peu cette élucubration, cette fiction est mise à l’épreuve de son impuissance à résoudre l’opacité du réel. En deçà du refoulement il y a la défense, qui est refus, obstacle actif par rapport à la jouissance. C’est ce qu’il faut déranger pour que le sujet, au-delà et en deçà de son fantasme, puisse rencontrer ce qui le fait unique, son sinthome, dispositif ininterprétable mais susceptible de reconfiguration. C’est l’enjeu même de la psychanalyse que de viser au-delà de la clinique et de ses catégories à la singularité d’un mode de satisfaction apaisé.