Section Clinique de Nantes
Session 2004-2005
Angoisse, anxiété, stress
Présentation du thème
Freud s’intéresse très tôt à l’angoisse avec ce qu’il nomme au début de son œuvre les « névroses actuelles », réactionnelles à l’inharmonie de la sexualité, qu’il oppose aux névroses de défense. Puis se succèdent ses différentes théories de l’angoisse. Liée au refoulement, elle en est d’abord le produit : la mécanique du refoulement produit de l’angoisse. Dans son texte fondamental Inhibition, symptôme, angoisse, c’est l’inverse : le refoulement est secondaire à l’angoisse de castration. Ainsi, pour Freud, l’angoisse est liée à la constitution et à l’agencement du désir.
Pour Lacan, l’angoisse est affaire de manque, mais pas de n’importe quel manque : l’angoisse apparaît quand le manque, soutien et structure du désir, vient à manquer. S’inscrivant entre l’énigme du désir et le réel de la jouissance, elle garde la marque de l’impossible pour l’un, et de la redoutable rencontre pour l’autre. L’angoisse signale un danger, insiste Freud ; l’angoisse est signal du réel démontre Lacan.
De tous les affects, l’angoisse se distingue en cela qu’elle « ne trompe pas ». Ce qui ne trompe pas, c’est ce qui ne se laisse pas signifiantiser, dissoudre dans les discours, mais emporte la certitude. L’angoisse devient ainsi la voie d’accès au réel par l’objet a, reste qui ne se laisse pas résorber, évaluer, quantifier. Dans la clinique, l’angoisse est recouverte par des masques, ou des transformations : inhibition, symptômes, mais aussi acte : acting out ou passage à l’acte. Elle peut cependant se présenter sous sa forme pure, insensée, chez le névrosé, adulte ou enfant. Qu’elle se présente comme une crise ou qu’elle s’installe insidieuse, elle reste certaine, elle le laisse sans voix et lui fait signe. Chez le sujet psychotique, elle se produit face à l’effondrement du sens lors des expériences énigmatiques où il se sent visé. Quant au pervers, c’est l’autre qu’il vise en cherchant chez lui à provoquer l’angoisse.
Quand, en 1962, Lacan choisit de parler de l’angoisse à son séminaire, cela surprend tout le monde. En effet, le début de son enseignement a consisté à différencier le registre imaginaire du registre symbolique, puis à promouvoir la structure signifiante — l’angoisse excède ces dimensions. Pourtant il avait d’emblée réalisé, à partir de son expérience clinique, que si tout est langage, tout n’est pas signifiant, et qu’il y a un reste irreprésentable, indicible. Dans le Séminaire X, à partir de l’angoisse, il donne à ce reste son statut de réel et de cause du désir, objet a qu’il ne peut désigner que d’une notation algébrique : a.
Quand quarante ans plus tard, Jacques-Alain Miller décide de publier ce séminaire, il ne sait pas encore que la livraison s’effectuera quelques semaines après les rapports de l’INSERM et autres, commandités par l’État. Aujourd’hui, ce séminaire, qui ne considère pas l’angoisse comme un trouble, et ne vise pas son traitement, mais qui, selon Jacques-Alain Miller, est une véritable fouille sur le terrain clinique, est une réponse directe à la réduction cognitivo-comportementale et biologique que cherche à opérer la psychiatrie contemporaine.
L’angoisse, distinguée par la psychanalyse parmi les affects comme le signal du réel auquel le sujet a affaire, est banalisée par la médecine, diluée, effacée. La promotion de la panique indique au sujet que son souci permanent doit être l’insécurité. La généralisation du trouble anxieux et du stress lie dans un mouvement clos le comportement et le médicament qui le sanctionne.
À méconnaître que ce qui fâche est au cœur de chaque humain, que l’ennemi, le plus étranger et le plus intime à la fois, est au dedans ; à ignorer que celui-ci prend la figure de l’exigence de jouissance qu’est la pulsion ; à vouloir saturer par des objets à consommer cette exigence, notre civilisation exacerbe l’insatisfaction. Ces objets sont des semblants inauthentiques et à leur tour, ils deviennent angoissants. Mais cette angoisse est obtenue par court-circuit, non plus en rapport avec ce qui est au cœur du sujet, mais par la duperie des objets proposés.
Aujourd’hui le malaise dans la civilisation est devenu angoisse. Ici la psychanalyse trouve sa pertinence et son efficacité thérapeutique : ramener l’angoisse du sujet à sa structure, et donner toute sa valeur au symptôme, qui en est le véritable traitement.